La nouvelle
Merde, se dit Rob. Encore l'équipe d'Emmet.
Il avait entendu les voix des flics résonner dans le passage. Ce fumier avait encore retrouvé sa trace. Et il était là pour lui.
Mais cette fois non plus il ne m'aura pas. Une promesse que Rob se faisait à lui-même.
Il se tourna vers ses hommes : « C'est bon, les mecs, on se tire ! Tout le monde au transloc, et fissa ! »
Obéissant à ses ordres, les autres se dispersèrent dans toutes les directions, après quoi il prit à son tour ses jambes à son cou. Ils se tiraient, chacun de son côté, pour éviter d'être embarqués tous à la fois. Emmet et ses sbires lui avaient déjà fait perdre une dizaine d'hommes arrêtés en plein business, comme aujourd'hui. Il y avait maintenant douze ans que les flicards étaient sur ses traces, mais jamais ils ne l'avaient attrapé.
Bien sûr, parler d'« années » pour une chasse qui s'étendait sur plusieurs époques, ça ne voulait pas dire grand-chose. Mais, pour ce qui était du temps tel qu'il le percevait, lui, des heures que son cerveau avait enregistrées et de l'âge de son corps, c'était bien le nombre d'années qui s'étaient écoulées depuis sa première rencontre avec Emmet et sa bande.
Quel mal ils se donnent pour me coincer, se dit-il, amusé. Quels connards, ces transtempos !
Il était encore en train de courir pour rejoindre sa voiture quand il le vit, lui, Emmet. Il se tenait à quelques mètres de là, au milieu d'une petite place, à gueuler des ordres au micro. C'était plus fort que lui, Rob s'arrêta pour le regarder. L'autre l'aperçut, leva la tête, et leurs regards se croisèrent. Rob reconnut l'expression de toujours : incertitude, désarroi. Tu as compris que je t'ai encore baisé, pensa-t-il, très content de lui. Cette gueule d'abruti l'agaçait plus que jamais. Chaque fois, il retrouvait cette expression vague, typique de celui qui n'arrivait pas à sortir ce qu'il avait à dire. Il pointa un doigt dans sa direction et, avec un sourire railleur, fit, du pouce, le geste de lui trancher la gorge. Le policier changea d'expression, passant de la perplexité à l'amusement. Il trouvait ça marrant, lui !
Rob se rendit compte qu'il ne pouvait pas rester là : s'il ne filait pas tout de suite, ils allaient le pincer, cette fois. Emmet était si stupéfait de le voir apparaître qu'il ne donna pas tout de suite à ses hommes l'ordre de lui courir après. Rob s'esquiva et parvint au translocateur dissimulé un peu plus loin.
Il chargea les coordonnées du point de rencontre convenu et activa le dispositif. Ça ne lui plaisait pas du tout de renoncer à sa mission, mais avec cet Emmet il ne fallait pas rigoler. D'autre part, ces combines illicites de caractère transtemporel avaient un avantage, entre autres : on pouvait tenter le coup des dizaines de fois avant de rendre compte au client.
Huit jours (de son temps subjectif) s'écoulèrent avant qu'on lui confie un nouveau coup. Il prépara ses hommes et partit. Destination Pompéi, an 79 après Jésus-Christ. Un cinglé de collectionneur voulait le chien recouvert de détritus dont le moulage s'était conservé pendant des siècles. Le fait que le clébard, une fois sorti de son cadre, ne serait plus recouvert de cendres de lapilli ne lui faisait ni chaud ni froid. L'important, c'était que le collectionneur paie bien.
Ses hommes avaient remonté le temps, depuis le moment de l'éruption jusqu'à quelques jours auparavant pour identifier l'animal et sa position. Bien entendu, Rob avait pensé qu'il suffirait de rapporter n'importe quel chien à son client, mais celui-ci avait fait savoir, précisément pour décourager les entourloupes de ce genre, qu'il disposait d'un échantillon d'ADN extrait de l'empreinte originale. Et, après tout, Rob avait sa conscience professionnelle. Attraper un chien ne semblait pas un travail tellement compliqué, mais on ne savait jamais ce qui pouvait arriver dans une autre époque. Même si on disposait des armes les plus performantes, on avait toujours besoin d'une équipe bien rôdée. C'était le cas de ses hommes, et il ne pouvait pas échouer.
« Prêts, les gars ? », chuchota-t-il dans le transmetteur. Les quatre autres, qui attendaient à quelques mètres de lui, lui indiquèrent que c'était bon ; alors il leva un bras pour donner le signal de l'action.
Le chien était couché à la porte de la maison de ses maîtres, occupé à se lécher. D'un air indifférent, Rob s'approcha tout en surveillant du coin de l'œil la progression de ses compagnons. Il était à moins de deux pas de l'animal quand un cri retentit dans l'écouteur, venant de derrière la maison : « C'est un piège ! »
Il ne perdit pas de temps à réfléchir. Il fit demi-tour, se dirigea vers le translocateur. C'était pour lui que les flics avaient tramé cette embuscade. Putain ! Voilà qu'ils devenaient intelligents.
« Attrapez-le ! » criait une voix qu'il reconnut. Emmet. Encore ce salopard.
Il s'éloignait de la place, mais il entendait encore les paroles que lui communiquaient les transmetteurs de ses hommes. Il comprit qu'ils avaient été capturés tous les quatre, un vrai désastre, cette fois.
« Bon, on les tient tous, chef », s'écria dans l'écouteur une voix étrangère, celle d'un des policiers.
Ils ne m'ont pas vu ! constata Rob. Ils se savent pas que je leur ai filé entre les doigts une fois de plus, ces imbéciles.
« Du bon boulot, les gars. On rentre », dit la voix grave d'Emmet. Puis Rob entendit une décharge et comprit qu'on avait confisqué les transmetteurs.
Méditant sa vengeance, il rejoignit sa base.
À peine arrivé (un instant perçu subjectivement, mais des siècles pour l'Histoire), il s'aperçut que quelque chose avait changé. L'odeur, la lumière… quelque chose n'était pas…
« Coincée, la grosse tête », coassa une voix rauque dans son dos tandis qu'un objet dur et froid se refermait autour de son poignet.
Il eut le souffle coupé et une tempête se déchaîna dans sa poitrine. Ce qu'il commençait à ressentir, ce n'était plus un pressentiment mais pas encore un fait accepté.
Ils m'ont eu…
« Les gars, le voilà, notre Robbie. » Celui qui le tenait le retourna de façon à le regarder en face. Le type avait de rares cheveux blancs, le visage creusé de rides profondes, la peau sèche et parcheminée. Un cigare pendait au coin de sa bouche.
« Notre trafiquant de reliques, hein ? Quelle impression ça fait d'être coincé la main dans le sac ? »
Rob ne répondit pas. Amer, il baissait la tête.
C'est fini, comprit-il.
Puis une autre idée lui vint : qui était cet homme ? Sur ses talons, il avait toujours eu l'équipe d'Emmet. Peut-être que ce vieillard c'était lui, peut-être que le policier avait consacré des décennies de son temps subjectif pour le capturer. En fait, il ne reconnaissait pas dans ce visage les traits d'Emmet, mais il ne l'avait jamais observé de près. Et puis, avec le passage des années et la fatigue accumulée, peut-être avait-il changé. À cette idée, quand bien même il était maintenant condamné à finir en prison, Rob ressentit comme une profonde satisfaction. La certitude perverse d'avoir gâché le sommeil de son adversaire jusqu'à ses vieux jours. Ça, c'était une revanche !
« Emmenez-le ! » ordonna le vieux, qui allait en venait en observant le matériel d'un air indifférent. « Maintenant que nous avons pris le chef, ajouta-t-il sans se retourner, capturer tous ses hommes ne sera qu'une formalité. Formez-vous en équipe et dirigez vous-même les opérations. »
Il y avait dans ces propos quelque chose qui déclencha un signal d'alarme dans l'esprit de Rob, mais il était trop perturbé pour comprendre. Perdu dans ses réflexions il ne s'aperçut pas qu'un autre policier s'était approché par derrière.
« Oui, Monsieur », confirma, d'un ton sérieux le policier qui lui tira les bras en arrière pour lui passer les menottes. Rob se laissa faire sans offrir la moindre résistance. « Toi et moi, on va aller faire un petit tour en tôle, mais j'ai dans l'idée qu'un seul va y rester... »
Rob se tourna d'un bloc pour répondre sur le même ton à cette mauvaise plaisanterie.
À peine avait-il croisé le regard de l'autre qu'il se figea.
« Toi ! », s'écria-t-il, lui faisant face. « Emmet ! » Cette fois, il en était sûr, il l'avait reconnu sans l'ombre d'un doute. Son ennemi juré, son persécuteur… qui avait gagné. Il chercha ses mots pour exprimer tout son mépris, mais ne les trouva pas. « En fin de compte, au bout de douze années, tu m'as coincé », fut-il tristement contraint d'admettre.
« Je ne comprends pas », répondit Emmet qui le fit pivoter de nouveau pour le pousser vers le translocateur. Rob remarqua pour la première fois sur le visage de l'autre une expression froide et concentrée, sans nuance de perplexité ou d'amusement. « C'est mon premier jour de travail... »
Il avait entendu les voix des flics résonner dans le passage. Ce fumier avait encore retrouvé sa trace. Et il était là pour lui.
Mais cette fois non plus il ne m'aura pas. Une promesse que Rob se faisait à lui-même.
Il se tourna vers ses hommes : « C'est bon, les mecs, on se tire ! Tout le monde au transloc, et fissa ! »
Obéissant à ses ordres, les autres se dispersèrent dans toutes les directions, après quoi il prit à son tour ses jambes à son cou. Ils se tiraient, chacun de son côté, pour éviter d'être embarqués tous à la fois. Emmet et ses sbires lui avaient déjà fait perdre une dizaine d'hommes arrêtés en plein business, comme aujourd'hui. Il y avait maintenant douze ans que les flicards étaient sur ses traces, mais jamais ils ne l'avaient attrapé.
Bien sûr, parler d'« années » pour une chasse qui s'étendait sur plusieurs époques, ça ne voulait pas dire grand-chose. Mais, pour ce qui était du temps tel qu'il le percevait, lui, des heures que son cerveau avait enregistrées et de l'âge de son corps, c'était bien le nombre d'années qui s'étaient écoulées depuis sa première rencontre avec Emmet et sa bande.
Quel mal ils se donnent pour me coincer, se dit-il, amusé. Quels connards, ces transtempos !
Il était encore en train de courir pour rejoindre sa voiture quand il le vit, lui, Emmet. Il se tenait à quelques mètres de là, au milieu d'une petite place, à gueuler des ordres au micro. C'était plus fort que lui, Rob s'arrêta pour le regarder. L'autre l'aperçut, leva la tête, et leurs regards se croisèrent. Rob reconnut l'expression de toujours : incertitude, désarroi. Tu as compris que je t'ai encore baisé, pensa-t-il, très content de lui. Cette gueule d'abruti l'agaçait plus que jamais. Chaque fois, il retrouvait cette expression vague, typique de celui qui n'arrivait pas à sortir ce qu'il avait à dire. Il pointa un doigt dans sa direction et, avec un sourire railleur, fit, du pouce, le geste de lui trancher la gorge. Le policier changea d'expression, passant de la perplexité à l'amusement. Il trouvait ça marrant, lui !
Rob se rendit compte qu'il ne pouvait pas rester là : s'il ne filait pas tout de suite, ils allaient le pincer, cette fois. Emmet était si stupéfait de le voir apparaître qu'il ne donna pas tout de suite à ses hommes l'ordre de lui courir après. Rob s'esquiva et parvint au translocateur dissimulé un peu plus loin.
Il chargea les coordonnées du point de rencontre convenu et activa le dispositif. Ça ne lui plaisait pas du tout de renoncer à sa mission, mais avec cet Emmet il ne fallait pas rigoler. D'autre part, ces combines illicites de caractère transtemporel avaient un avantage, entre autres : on pouvait tenter le coup des dizaines de fois avant de rendre compte au client.
Huit jours (de son temps subjectif) s'écoulèrent avant qu'on lui confie un nouveau coup. Il prépara ses hommes et partit. Destination Pompéi, an 79 après Jésus-Christ. Un cinglé de collectionneur voulait le chien recouvert de détritus dont le moulage s'était conservé pendant des siècles. Le fait que le clébard, une fois sorti de son cadre, ne serait plus recouvert de cendres de lapilli ne lui faisait ni chaud ni froid. L'important, c'était que le collectionneur paie bien.
Ses hommes avaient remonté le temps, depuis le moment de l'éruption jusqu'à quelques jours auparavant pour identifier l'animal et sa position. Bien entendu, Rob avait pensé qu'il suffirait de rapporter n'importe quel chien à son client, mais celui-ci avait fait savoir, précisément pour décourager les entourloupes de ce genre, qu'il disposait d'un échantillon d'ADN extrait de l'empreinte originale. Et, après tout, Rob avait sa conscience professionnelle. Attraper un chien ne semblait pas un travail tellement compliqué, mais on ne savait jamais ce qui pouvait arriver dans une autre époque. Même si on disposait des armes les plus performantes, on avait toujours besoin d'une équipe bien rôdée. C'était le cas de ses hommes, et il ne pouvait pas échouer.
« Prêts, les gars ? », chuchota-t-il dans le transmetteur. Les quatre autres, qui attendaient à quelques mètres de lui, lui indiquèrent que c'était bon ; alors il leva un bras pour donner le signal de l'action.
Le chien était couché à la porte de la maison de ses maîtres, occupé à se lécher. D'un air indifférent, Rob s'approcha tout en surveillant du coin de l'œil la progression de ses compagnons. Il était à moins de deux pas de l'animal quand un cri retentit dans l'écouteur, venant de derrière la maison : « C'est un piège ! »
Il ne perdit pas de temps à réfléchir. Il fit demi-tour, se dirigea vers le translocateur. C'était pour lui que les flics avaient tramé cette embuscade. Putain ! Voilà qu'ils devenaient intelligents.
« Attrapez-le ! » criait une voix qu'il reconnut. Emmet. Encore ce salopard.
Il s'éloignait de la place, mais il entendait encore les paroles que lui communiquaient les transmetteurs de ses hommes. Il comprit qu'ils avaient été capturés tous les quatre, un vrai désastre, cette fois.
« Bon, on les tient tous, chef », s'écria dans l'écouteur une voix étrangère, celle d'un des policiers.
Ils ne m'ont pas vu ! constata Rob. Ils se savent pas que je leur ai filé entre les doigts une fois de plus, ces imbéciles.
« Du bon boulot, les gars. On rentre », dit la voix grave d'Emmet. Puis Rob entendit une décharge et comprit qu'on avait confisqué les transmetteurs.
Méditant sa vengeance, il rejoignit sa base.
À peine arrivé (un instant perçu subjectivement, mais des siècles pour l'Histoire), il s'aperçut que quelque chose avait changé. L'odeur, la lumière… quelque chose n'était pas…
« Coincée, la grosse tête », coassa une voix rauque dans son dos tandis qu'un objet dur et froid se refermait autour de son poignet.
Il eut le souffle coupé et une tempête se déchaîna dans sa poitrine. Ce qu'il commençait à ressentir, ce n'était plus un pressentiment mais pas encore un fait accepté.
Ils m'ont eu…
« Les gars, le voilà, notre Robbie. » Celui qui le tenait le retourna de façon à le regarder en face. Le type avait de rares cheveux blancs, le visage creusé de rides profondes, la peau sèche et parcheminée. Un cigare pendait au coin de sa bouche.
« Notre trafiquant de reliques, hein ? Quelle impression ça fait d'être coincé la main dans le sac ? »
Rob ne répondit pas. Amer, il baissait la tête.
C'est fini, comprit-il.
Puis une autre idée lui vint : qui était cet homme ? Sur ses talons, il avait toujours eu l'équipe d'Emmet. Peut-être que ce vieillard c'était lui, peut-être que le policier avait consacré des décennies de son temps subjectif pour le capturer. En fait, il ne reconnaissait pas dans ce visage les traits d'Emmet, mais il ne l'avait jamais observé de près. Et puis, avec le passage des années et la fatigue accumulée, peut-être avait-il changé. À cette idée, quand bien même il était maintenant condamné à finir en prison, Rob ressentit comme une profonde satisfaction. La certitude perverse d'avoir gâché le sommeil de son adversaire jusqu'à ses vieux jours. Ça, c'était une revanche !
« Emmenez-le ! » ordonna le vieux, qui allait en venait en observant le matériel d'un air indifférent. « Maintenant que nous avons pris le chef, ajouta-t-il sans se retourner, capturer tous ses hommes ne sera qu'une formalité. Formez-vous en équipe et dirigez vous-même les opérations. »
Il y avait dans ces propos quelque chose qui déclencha un signal d'alarme dans l'esprit de Rob, mais il était trop perturbé pour comprendre. Perdu dans ses réflexions il ne s'aperçut pas qu'un autre policier s'était approché par derrière.
« Oui, Monsieur », confirma, d'un ton sérieux le policier qui lui tira les bras en arrière pour lui passer les menottes. Rob se laissa faire sans offrir la moindre résistance. « Toi et moi, on va aller faire un petit tour en tôle, mais j'ai dans l'idée qu'un seul va y rester... »
Rob se tourna d'un bloc pour répondre sur le même ton à cette mauvaise plaisanterie.
À peine avait-il croisé le regard de l'autre qu'il se figea.
« Toi ! », s'écria-t-il, lui faisant face. « Emmet ! » Cette fois, il en était sûr, il l'avait reconnu sans l'ombre d'un doute. Son ennemi juré, son persécuteur… qui avait gagné. Il chercha ses mots pour exprimer tout son mépris, mais ne les trouva pas. « En fin de compte, au bout de douze années, tu m'as coincé », fut-il tristement contraint d'admettre.
« Je ne comprends pas », répondit Emmet qui le fit pivoter de nouveau pour le pousser vers le translocateur. Rob remarqua pour la première fois sur le visage de l'autre une expression froide et concentrée, sans nuance de perplexité ou d'amusement. « C'est mon premier jour de travail... »
FIN
©
Andrea Viscusi. Reproduit avec l'aimable autorisation de
l'auteur. Traduit de l'italien par Pierre Jean Brouillaud.
Titre original La Recruta. |
Nouvelles | Le Jour du Jugement | Quelque part... |
10/06/10